Réjouis-toi,
Le destin (Dieu) a voulu que tu visites le pays de tes amis
Le nôtre est au cœur de l’Afrique nommé le Congo
Armstrong,
Ailleurs, tu es appelé Satchmo
Au Congo, nous te surnommons Okuka Lokolé
Ces paroles sont celles d’une chanson composée par le Grand Kalle et son African Jazz pour célébrer l’arrivée de l’immense trompettiste de jazz au Congo, devenu indépendant quelques mois auparavant. Selon l’écrivain congolais Clément Ossinondé, « Louis Armstrong a posé ses pieds à Léopoldville le 28 octobre 1960 en venant de Brazzaville. Il a été accueilli dans la capitale de l’ancien Congo belge par Albert Mongita Likeke, le directeur des affaires culturelles de l’époque, habillé pour l’occasion en tenue traditionnelle. »
Comme Albert Mongita, Louis Daniel Armstrong était aussi acteur, comme en témoigne sa longue filmographie. Dans un court-métrage de 1932 baptisé « A Rhapsody in Black and Blue », on le voit même porter la peau de léopard, celle-là même qui fait souvent partie des parures des tenues traditionnelles des chefs congolais. La toque de Mobutu n’était-elle pas en peau de léopard ? (Dans le film Rhapsody in Black and Blue, Satchmo n’avait sans doute pas pour autant choisi ce costume. À Hollywood, c’est le début des « jungle movies », un genre qui véhiculera toutes sortes de clichés. Il n’en reste pas moins que le léopard est, comme le fait remarquer l’auteur, un signe distinctif du pouvoir au Congo, NDLR). Toujours est-il qu’en 1960 à Léopoldville, il est accueilli comme un chef d’État. Dans le stade où il s’apprête à jouer, il fait son entrée assis sur une chaise portée par ses frères africains en tenues traditionnelles. Loin de Tintin au Congo, cette pratique était réservée aux grands chefs ou d’autres personnalités importantes dans des circonstances bien précises.
Armstrong, roi des « jazzeurs »
D’ailleurs, il s’agit bien là d’une visite quelque peu « officielle » puisque le musicien et chanteur a été choisi par le Département d’État (le ministère des affaires étrangères américain) pour jouer le rôle d’ambassadeur culturel des États-Unis (comme Benny Goodman ou Dizzie Gillespie). C’est le pays de l’oncle Sam qui, en pleine guerre froide, contribue à l’organisation des tournées d’« Ambassador Satch » en Europe et bien sûr en Afrique (il jouera dans 27 villes) où sa musique, mais aussi son image, sont bien connues. À Léopoldville, l’homme et sa trompette paradaient – avant même qu’il ne mette pied au Congo — sur des affiches publicitaires pour un soda américain (pas celui d’Atlanta, son concurrent) qui co-sponsorisa, avec le Département d’État, sa venue au Congo. Armstrong incarnait une modernité noire, que le mot jazz à lui seul renfermait. À l’époque, le néologisme « jazzeur » désigne une personne élégante, en référence aux tenues de scène des musiciens de jazz. Et bien que la musique congolaise moderne trouve ses fondements dans la rumba qui est partie du Congo puis revenue de Cuba, il n’est pas rare de voir le mot « jazz » accolé au nom d’une formation musicale, comme ce fut le cas pour l’African Jazz et l’OK Jazz, qui dès les années cinquante se disputent les faveurs du public.
Si Satchmo (littéralement « bouche de sacoche ») avait déjà joué plusieurs fois en Afrique (et notamment en Gold Coast, juste avant que le pays ne devienne Ghana), il est au Congo plus qu’ailleurs chez lui, sur les terres de ses ancêtres. Du moins symboliquement… Petit-fils d’anciens esclaves, Louis, né à La Nouvelle-Orléans en Louisiane le 4 août 1901, a grandi dans cette ville sudiste fortement marquée par la ségrégation. Sa famille vit à Black o’Town, un quartier pauvre où la violence le dispute à la misère. Comme à Kinshasa, la musique y est partout. Surtout, il existe jusqu’à nos jours à La Nouvelle-Orléans une place dénommée « Congo square ». Cela ne s’invente pas ! Cette place publique a marqué l’histoire de la traite négrière dès l’époque de la Louisiane française, puisque cet endroit où se tenait le marché aux esclaves était aussi celui où ils étaient autorisés à se réunir le dimanche pour chanter (et danser) la souffrance et l’espoir. Au fil du temps, l’endroit est devenu un des berceaux de la culture afro-américaine, et aujourd’hui le grand jardin public qui l’entoure a été baptisé… Louis Armstrong. Mais revenons à 1960, et à la visite de Satchmo au Congo.
Un chant pour l’enfant de Congo square
Comme il est de coutume chez les peuples bantous, les évènements importants sont immortalisés en musique. À l’occasion de la mémorable visite de l’artiste américain à Léopoldville, Joseph Kabasele dit le « Grand Kallé », le père de la musique congolaise moderne, chanta avec son African-Jazz, « Satchmo okuka lokole ». Toute la chanson est en lingala. Mais « Okuka lokole » est en tétéla, une langue bantoue pratiquée par les Batétéla. On trouve cette ethnie du groupe Anamongo à l’est du Kasaï, dans le territoire baigné par les rivières Lomami et Sankuru. Parmi les personnalités de cette ethnie, on peut citer Patrice Emery Lumumba, le leader indépendantiste ainsi que le chanteur Papa Wemba.
Le lokolé est une section de tronc d’arbre évidée et percée d’une fine fente. Cette sorte de tambour sert à la fois d’instrument de musique et d’outil de transmission de messages. Cet instrument idiophone produit des sons à l’aide de bâtons en bois frappés des deux côtés de la fente. Très répandu chez le peuple Bantous, le lokolé est souvent comparé au morse. Chez les Batétéla, le tambourinaire occupe d’ailleurs une place spéciale.
« Okuka », dans leur langue, est un arbre résistant idéal pour fabriquer des « lokolé ». C’est également un de leurs patronymes.
Refrain : O o Armstrong Okuka, o o Satchmo (x2)
« Satchmo, Okoka lokole » par Joseph Kabasele
Tu es venu chez les tiens
Nous t’accueillons, nous t’accueillons, Okuka lokole
O Lokolé, Lokolé, bienvenu à toi, Okuka Lokolé O o Lokole, Satchmo Armstrong, Reçois les salutations du Congo, ami e e
Refrain : O o Armstrong Okuka, o o Satchmo (x2)
Après son accueil triomphal et son concert à Léopoldville, il se rend au Katanga. Cette province minière a fait sécession en juillet 1960, quelques jours seulement après la proclamation de l’indépendance du Congo. Soutenu par les Occidentaux, Moïse Tshombe s’était alors autoproclamé président, et avec le soutien des Belges, défendait par les armes la sécession contre les autorités congolaises. Certaines sources rapportent qu’une trêve d’une journée aurait été décrétée pour permettre aux belligérants d’assister à la représentation d’Armstrong. Lui, même, sur le ton de l’humour, raconta plus tard qu’il avait mis fin à une guerre civile. Tout cela n’a peut-être pas troublé le musicien habitué au grabuge des clubs de Chicago où, dit-on, il n’était pas rare dans les années trente de voir les musiciens continuer à jouer au milieu d’un règlement de compte entre gangsters. Mais au Congo, savait-il que le premier ministre Patrice Émery Lumumba et deux personnalités politiques, Joseph Okito et Maurice Mpolo, venaient d’être arrêtés ? Ces trois patriotes congolais seront d’ailleurs assassinés au Katanga de Tshombe en janvier 1961, trois mois après le départ d’« Ambassador Satch »… et avec la bénédiction de la CIA.
Le musée virtuel Armstrong mis en ligne plusieurs documents liés à la visite de Satchmo au Congo (RDC).
Retrouvez les livres de José Nzolani sur son site.